(1 libre) comment apprivoiser un fantôme ?

c'est peut-être parce que je vous invente que je tiens tellement à vous.

- antoine de saint-exupéry,
lettres des jeunesse.

mais qui est-il ? si ce n'est ce fantôme que l'on peut voir, toucher, entendre mais qui n'inspire rien. une habitude. un électron fatigué qui brille et s'échoue dans ses silences. une histoire sombre. colérique. un monstre caché dans l'ombre de son ennui. ghost. ce des soleils noirs qui pensent éclairer mais ne révèlent que la nuit. une âme errante dans le cimetière de ses pensées. un rêve éteint. un écho. une vie gâchée, regrettée. et de l'ennui, encore. surtout de l'ennui. à en perdre la tête. lassitude de l'homme qui se réveille sur le tard et réalise qu'il s'est trompé d'existence. rien ne lui va. ni de son boulot. ni de son costard. ni de sa maison trop grande. ni de sa famille. le fantôme, oui, qui s'enlise dans sa propre fange et colore sa vie de peintures magnifiques. il se souviendra toujours de cette après-midi d'errance. le ciel si lourd au-dessus de sa tête deux ans plus tôt tandis qu'il errait le long des rues de colchester. partagé entre l'envie de disparaître à tout jamais ou en finir maintenant. mais disparu, voilà qu'il l'était déjà. un être diaphane foulant les trottoirs jusqu'à ce que cette vitrine se présente à lui. un cabinet de curiosités implanté dans la poussière du monde. un portail enivrant ouvert sur un univers chimérique. il se souvient être resté là un instant, comme suspendu dans un vide agréable. un vide qu'il détestait jusque là, soudainement transformé en un vertige grisant. ses pupilles errant de toile en toile, de sculpture en sculpture et enfin, la silhouette d'astré, le nez plongé dans son art. la toute première fois, il ne l'a même pas remarqué. ghost et son aura éthéré, ses yeux perçants posés sur l'homme de passions et de lumières. un mirage. non, un miracle. dont la beauté transcendait brutalement le vide qui le composait. ce n'est qu'au bout de la troisième fois qu'il s'est décidé à franchir les portes qui le séparaient de grimm. et vous savez, il y a eu cette chose en lui, cet éclair qui bouscule et change votre vie à jamais. sur le moment, il ne l'a pas décelé - dans un élan de protection ou bien de déni. mais ensuite, les visites se sont de moins en moins espacées et les pièces de sa maison se sont transformées en un musée où l'art d'astré reposait. un palais immense de solitude peuplé des pensées d'un seul et même homme. lui, le prince de l'étrange. cette créature parfois si douce et timide, parfois si sombre et méfiante. ghost se l'est mille fois imaginé et inventé. au hasard de leurs rencontres, ils ont eu l'audace de partager quelques conversations et les yeux magiques d'astré avaient ce pouvoir de lui rendre quelques contours. une consistance. les rayons de lumière ne lui passaient plus en travers du corps ; ils l'alimentaient. reflétaient en lui. et comme c'est étrange pour un fantôme d'expérimenter la vie, la vraie, et la sentir couler dans ses veines. il y a eu des sourires. d'étranges fascinations. le plus agréable, c'était encore lorsqu'astré le dessinait sous mille formes et couleurs. du fusain à l'aquarelle en passant par l'encre. l'art, il n'y avait que ça, teinté d'un amour indiscipliné qui brûle et ravive. les rêves. le coeur. le monde. l'art, oui, qui émeut aux larmes et montre la possibilité d'ailleurs. d'ailleurs qui l'attendraient. d'ailleurs qui voudraient de lui. dans toute son entièreté spectrale. ghost s'est nourri du flirt que lui offrait astré. s'est gavé de sa passion jusqu'à ne plus savoir qu'en faire. et un jour ... un jour, les toiles se sont faites plus rares. le papier qui abritait alors les traits d'un spectre ont laissé place à une autre. une fée. si belle qu'elle lui donnait la nausée. une muse dont les racines avaient fait leur chemin jusqu'au cœur d'astré sans même qu'il ne le voit, aveuglé par sa propre tendresse. la distance soudaine a alors laissé place à la peur. et depuis ce jour, chaque nuit, les griffes de l'abandon viennent alors gratter les parois osseuses de sa cage thoracique pour s'en prendre à ses émotions. elles rugissent. s'attristent.

et si ghost était alors en train de perdre l'unique réceptacle de son bonheur ?

ghost n'est pas un homme. il est une âme. une âme profondément esseulée et lasse appartenant à l'obscurité. il est semblable à une mer de diamants noirs. morose, parfois. colérique, souvent. solitaire, toujours. désespéré, en tout temps. un passionné qui s'ignore. un fantôme fait de peau et de chair errant dans le purgatoire de sa propre mélancolie. un spectre décidé à ne pas totalement disparaître. un fantôme monstrueux dont la poésie lugubre laisse éclore sa possessivité maladive.

c'est toi, ghost, qui un soir de février t'es attaqué à l'art d'astré, balançant dans sa vitrine des pavés aussi lourds que ton coeur. c'est toi, ghost, celui qui brise dans l'ombre et répare dans la lumière. toi, qui l'as pris dans tes bras lorsqu'il est venu te montrer son désarroi. toi, qui te fais passer pour le héros que tu n'es pas. mais comment ? comment peut-on apprivoiser un fantôme qui jusque là n'était qu'une force endormie ? ton réveil est semblable à un volcan. un séisme. un cataclysme. astré a bousculé ce cœur mort pour en faire de la folie qui aime et ne qui ne supporte aucun chagrin. tu veux vivre, ressentir jusqu'à avoir mal et ça, tu ne laisseras personne te l'enlever. personne.