(1 libre) two birds of a feather

–– dis-moi pio, pourquoi papa ne te regarde jamais ? et pourquoi maman ne te fait jamais de câlin ? dis-moi pourquoi j'ai le droit à tout, et toi à rien ? tu trouves pas ça injuste, que je sois la reine, et toi le bouffon ? dis-moi pio, pourquoi il n'y a que moi qui t'aime dans cette maison ?

il a essayé pio, sans jamais s'arrêter, de plaire au pater. il a tout mis en oeuvre, depuis la naissance. entre ses sourires angéliques sur sa bouille d'innocent, aux bonnes notes sur les bancs de l'école. il a essayé, aussi, de comprendre pourquoi papa ne lui foutait que des baffes. jamais un doux mot hors de sa bouche, rien que du vide bestial, des cris et des coups. alors, il a arrêté de sourire. jusqu'à ce qu'elle arrive, la belle fleur de sa vie. jacinthe, et les prunelles qui s'émerveillaient sur son passage. il a lu dans le regard de leur père un amour qu'il ne connaîtra jamais. et il aurait pu lui en vouloir, à la gosse qui déboulait pour prendre la place d'enfant favori qu'il n'a jamais eu, de toute façon. mission impossible. il a essayé de la détester, de cracher dans sa soupe et lui couper des mèches de cheveux la nuit. sauf qu'il l'aimait trop. elle avait ce truc, cette aura et cette beauté qui le condamnait à l'aimer, jour et nuit. comme un vulgaire fanatique, un valet pour sa dame.


puis un jour, il a compris, pio. pourquoi toute la haine des manzoni pesait sur lui. parce que c'était qu'un bâtard. mamma a porté en son sein les malheurs du père. il n'était pas du roi, mais d'un connard inconnu. et il n'a jamais pardon l'affront, la trahison, s'est vengé constamment sur la gueule délicate du poupon. il a compris, pourquoi jacinthe était aimée. l'héritière, la couronne fièrement vissée sur sa tête. et il a su, que sa place ne serait qu'à sa droite, sous son trône, jamais à côté. mais le salopard patriarche a pourtant tenté de l'intégrer à la famille, seuls bras masculins portant son sobriquet. un manzoni qu'il faut former pour lui faire honneur. il intègre la mafia de l'enflure, s'abandonne aux bizutages et à l'odeur du sang purulent. il essaye, encore toujours. il veut réussir, pour faire honneur à un père qui le méprise. pour jacinthe, parce qu'elle aura besoin de lui, le jour où elle apprendra les atrocités commises par le nom qu'elle porte avec trop de fierté.


vient finalement, le jour de trop. celui où la lame entre les mains, il doit voler une vie. il a fermé les yeux, comme le gamin qu'il était quand son père l'a fait tuer une biche dans la forêt américaine. en un claquement de doigts, il était devenu meurtrier. sur le coup, il a assumé, ravalé sa honte et son vomi. jusqu'à ce que les meurtres s'accumulent et que la soupape explose. sous le choc, le corps d'un mioche ensanglanté entre les bras, il s'est haï. il a exécré tout ce qu'il est, fût et sera. rien qu'un vaurien, un bâtard qui se salit les mains pour s'faire pisser dessus. il a renié le père, bafoué la mère et blessé la soeur. il est parti, un temps, guérir des visions affreuses qui lui parcouraient la rétine. il s'est lié d'amitiés avec le bas-peuple méprisé par l'aristocratie du nom manzoni. il a trouvé sa famille, a entrevu l'espoir d'un monde meilleur, jusqu'à tremper jacinthe du même bain. l'intégrer à son univers, s'assurer qu'elle l'aimera pour l'éternité, ou au moins jusqu'à ce que le père lui retire son amour pour le punir, encore. alors il disparaît, quand elle s'envole loin de lui. il se tait, s'enfonce dans sa vie misérable pendant qu'il la regarde briller au loin.