(pris) matthew bell

Enfant-lumière né de l’ombre, Emrys n’a jamais eu besoin d'aide pour rayonner de mille feux, faisceau étincelant venu éclairer l’existence toute entière de Maybelle. Là où elle pensait être la torche incandescente qui les guidait tous les deux, c’est en réalité sa flamme à lui qui les avait menés aussi loin, sans jamais faiblir, guerrier de cendres et de braises dont le brasier reprenait toujours, même quand il semblait complétement éteint. Funambule, il a passé la plus grande partie de son enfance à avancer en équilibre sur un fil que Maybelle s’évertuait à garder tendu pour lui à la maigre force de ses bras tremblants, refusant de laisser le vide l’avaler pour ne plus jamais le recracher.  Sous l’écorce de la misère qui a grandi autour de lui, si la richesse était estimée pour le bien qu’on donnait aux autres et non pas par l’opulence, le gamin serait probablement l’âme la plus fortunée du monde. Il n’existe pas une once de mauvaiseté en lui, comme si son coeur y était trop stérile pour la laisser y prendre racine, même s’il lui est arrivé plus d’une fois d’en vouloir au fossoyeur de leur existence. Ce père inconnu dont le nom n’était plus que l’illusion d’un mystère depuis que les murmures incessant du village ramenaient inlassablement à ses oreilles. Valor Sinclair. Si Maybelle s'efforçait de le rassurer et de lui laisser entendre que tout ça n’était que des racontars qui n’avaient que l’importance qu’on leur donnait, le môme a vite fini par comprendre qu’elle était celle qui lui jetait des bobards entre les deux, érigeant autour de lui une forteresse de mensonges qui ne le protégerait pas pour toujours de la vérité. Môme ballotté d’une chambre à l’autre du motel où ils résidaient depuis sa naissance, Emrys ne s’est pourtant jamais indigné de ce mode de vie bancal. Si Maybelle a été pointé du doigt plus d’une fois pour la négligence infantile qu’on lui reprochait, ça ne le dérangeait pas, lui, de passer ses soirées dans la suite de la gérante de l’établissement, à regarder tous les dessins qu’il voulait et à se voir offrir des glaces gratuites - les meilleures du congélateur - pendant que sa mère s’adonnait à ses activités nocturnes. S’amusait même de raconter à tous ses camarades de classe qu’il vivait sur une immense propriété avec terrain de basket privé et une grande piscine, omettant volontairement de préciser que cette dernière était commune et si mal entretenue qu’on ne pouvait plus en voir le fond tant les parois étaient couvertes d’algues. Il se souvient encore précieusement de ces moments où Maybelle lui tendait le menu plastifié dérobé au restaurant où elle travaillait en journée pour le laisser choisir le repas qu’il voulait et dont elle lui ramenait des restes à moitié froid en rentrant de son service pour qu’il puisse manger à sa faim. Lorsqu'un jour il a fini par découvrir la véritable signification de ces fameuses heures supplémentaires qu'elle faisait après journée en échappant à la vigilance de son surveillant du soir, il lui a demandé si elle était amoureuse et elle lui avait répondu que ce n'était pas des sentiments qu'elle leur donnait et le gamin s'était contenté de cette vague explication en haussant les épaules.

Leucémie aigüe lymphoïde.
C'est le couperet qui lui était tombé dessus une semaine avant ses six ans, alors que sa mère l'avait emmené consulter un médecin pour sa fatigue passagère et les vertiges qui le prenaient parfois. Il avait pas compris grand chose aux explications du docteur de l'hôpital à l'époque, juste qu'il devrait y revenir souvent et pour des durées plus ou moins longues. Insouciant, il n'avait aucune idée du traitement onéreux que sa maladie impliquait. Des sables mouvants dans lesquels Maybelle avait commencé à s'enfoncer en acceptant qu'ils lui soient administrés, comme il n'a jamais su comment elle avait fini par rassembler la somme d'argent nécessaire. Qu'en désespoir de cause, elle avait d'abord été voir son père qui avait refusé de leur tendre la main. Pire, qui les avait poussés tous les deux du précipice au bord duquel ils se tenaient. Elle aurait pu choisir d'exposer publiquement la paternité désavouée de Sinclair. En profiter pour lui extorquer une coquette somme d'argent au passage mais elle avait toujours refusé d'exposer son fils aux retombées qu'un tel scandale pourrait avoir sur eux. Et ils n'avaient pas eu besoin de lui. Durant ces longs mois de convalescence, jamais Peregrine n'avait lâché la main de son garçon, pas même lorsqu'il ne trouvait même plus la force de serrer ses petits doigts entre les siens. Qu'importe si elle se tenait à son chevet les yeux bien trop souvent vitreux d'avoir trop pleuré, jamais elle ne se départissait de ce sourire qui maquillait si bien son visage, le plus efficace de tous les remèdes contre le mal qui le rongeait qu’on lui avait proposé jusqu'ici.

Si Maybelle n’avait jamais été des plus bavardes, se tournant toujours vers le silence comme si elle avait peur de ce qu’elle pouvait bien dire, si elle épargnait les mots qu’elle jugeait futiles quand il s’agissait de soulager sa propre conscience mais dont elle n’hésitait pas à se servir pour apaiser les maux des autres, pour Emrys, elle avait toujours été la voix qui lui faisait oublier toutes les autres. Celles qui lui crachaient qu’il n’était qu’un moins que rien, un gâchis de vie. Celles des médecins qui lui annonçaient une fois de plus que son sang refusait de coopérer. Celles dans sa tête qui lui susurraient qu’il n’allait pas s’en sortir. S’ils ont rapidement appris à communiquer autrement, le gamin ne s’est jamais vraiment habitué au silence permanent qu’on leur avait imposé le jour où elle est revenue dans sa chambre d’hôpital, muette à vie après s’être vue trancher la langue dans un acte de barbarie innommable par un monstre qui n’a jamais été retrouvé. Un déplorable accident qui a empli la tête de gamin de désir de représailles. Teinté ses pensées d’une rage qu’il n’avait jamais connue et qu’il avait saignée bien des années plus tard en leur donnant une couverture légale, rejoignant l’école de police et promettant justice aux laissés-pour-compte.

ça vient, ça vient